Dans ses discours en campagne pour la présidentielle, Barack Obama évoquait sa mère “une jeune blanche du Kansas”. Comme si elle devait être sa face normale, trait d’union entre un parcours et un nom impossibles et le coeur de l’Amérique.
Stanley Ann Duham était bien plus atypique que cela. Fille d’un père qui sautait de job en job, elle avait en fait quitté le Kansas très jeune, n’avait cessé de déménager avant que ses parents ne s’installent à Hawai quand elle avait 16 ans. Enceinte à 17 ans du premier étudiant africain de l’université, elle l’épousa à une époque où les mariages mixtes étaient encore illégaux dans la majorité des Etats américains. Elle partit à 24 ans ans avec son fils de 6 ans en Indonésie alors que la répression d’un soulèvement de militaires liés au parti communiste venait d’y faire au moins un demi-million de morts.
Anthropologue, bosseuse infatigable, elle parcourut les villages de Java, souvent la seule occidentale à la ronde. Habillée en batik, un thermos de café pour compagnie, elle pouvait passer quatre heures à interviewer un paysan sur l’économie de son foyer. Elle fit partie des pionniers du microcrédit avant qu’il ne soit à la mode et mit quinze ans à écrire une thèse de doctorat de 1000 pages dédicacée notamment à Barack et Maya “qui se sont rarement plaints quand leur mère était sur le terrain”.
Tous ses chapitre de la vie de sa mère, Barack Obama les a longtemps gommés publiquement pour sauter sur le dernier: toujours sur la corde raide financièrement, sa mère se découvre à 53 ans un cancer foudroyant et doit se bagarrer avec sa mutuelle pour que son traitement soit pris en charge. L’épisode fera partie de ses arguments dans sa bataille pour sa réforme de la santé.
Janny Scott, journaliste au New York Times, a consacré une biographie passionnante à Ann Dunham : “A Singular Woman : The Untold story of Barack Obama’s Mother”. Pourquoi ne la découvre t-on qu’aujourd’hui?
“Il fait campagne aux Etats-Unis, pas en Indonésie”, répond un ancien collègue de sa mère à l’auteure, deux semaines avant le scrutin présidentiel. “Vous croyez qu’il peut être élu en disant: ‘Ma mère était plus indonésienne qu’américaine’? » L’universitaire y décrypte la façon dont le futur président rhabille sa mère pendant la campagne.
“Il joue avec les cartes qu’il a en main en racontant qu’il a été élevé par une mère célibataire avec des coupons alimentaires et élevé par sa grand-mère… Ça ressemble au parcours de beaucoup de Noirs.”
En fait, comme le raconte Janny Scott, ce “story telling” commence bien avant la campagne présidentielle. A 28 ans, Barack Obama devient le premier noir à être élu président de la Harvard Law Review, prestigieuse revue de droit d’Harvard. Cela lui vaut l’attention des grands quotidiens américains qui décrivent cet “enfant des rues” en Indonésie, racontent son adolescence à Hawaii élevé par ses grands-parents, et surtout son père “qui a étudié à Harvard et Oxford avant de devenir un économiste du gouvernement kenian” et avec qui Barack dit correspondre.
C’est suite à ces articles qu’un éditeur lui propose de raconter son parcours dans un livre, Les Rêves de mon père, publié en 1995, l’année de la mort de sa mère. Alors qu’il n’a pas encore de carrière politique, Obama y conte déjà une jeune Américaine timide, naïve et idéaliste tombée amoureuse d’un brillant étudiant africain plein d’avenir. A le lire, le couple ne résiste pas au départ du père pour Harvard, où il n’avait pas les moyens d’emmener sa famille.
Les quelques morceaux de puzzle qu’a rassemblés Janny Scoot sont moins indulgents. Ils comprennent la découverte par Ann Duham que son mari est déjà marié et a un autre enfant en cours, un plat balancé contre le mur avec un: “Tu crois que je vais manger ça ?”, et le départ du père quand Barack a 10 mois… Obama a-t-il voulu arranger le tableau ? Pas nécessairement. A en croire Maya, sa deuxième fille née d’un père indonésien, Ann Duham s’est toujours appliquée à ne jamais dénigrer les pères de ses enfants devant eux.
Dans Les Rêves de mon père, Barack Obama raconte encore que lorsque sa mère retourne en Indonésie en 1975, c’est lui qui, à 13 ans, demande à rester auprès de ses grands-parents à d’Hawaii. Sa mère ne reviendra à Hawaï que pour sa dernière année de lycée.
Janny Scoot observe dans son livre que lorsqu’elle dit travailler à une biographie de la mère d’Obama, elle entend souvent des réactions comme: “Elle était sympa ?”, “Tu l’aimes bien ?” Elle comprend que c’est la façon qu’ont ses interlocuteurs d’approcher le fait qu’Ann Dunham ait pu laisser son fils, “transgression qu’on ne lui pardonne pas trente-cinq ans plus tard” malgré les aller-retours du fils et de la mère entre Hawaï et l’Indonésie.
Qu’il soit parti quand son fils avait 10 mois n’a en revanche pas empêché le père d’Obama de devenir la clé de lecture de sa vie. Sa mère, qui l’a élevé pendant douze de ses treize premières années, et, a toujours nourri pour lui les plus hautes ambitions, a été passée à l’as.
« ‘Sa mère est anthropologue’, j’ai été mentionnée en une phrase”, a réagi, amère, Ann Dunham auprès d’un proche après un très long article consacré au parcours de son fils après son élection à la Harvard Law Review, sans savoir alors que sa profession disparaîtrait ensuite pour devenir “une jeune blanche du Kansas”.
Les Rêves de mon père a été réédité en 2004, quand Obama, étoile montante du Parti démocrate, s’est présenté au Sénat. Le livre a été précédé d’une préface.
“Je me dis parfois que si j’avais su qu’elle n’allait pas survivre à sa maladie, j’aurais écrit un livre différent, qui soit moins une médiation sur le parent absent, mais plus une célébration de celle qui fut la seule constante de ma vie.”
Guillemette Faure