Si Martine Aubry avait des lunettes, elle ne se serait pas envoyé un crayon dans l’oeil. Et pourtant, malgré leurs avantages, les femmes politiques sont peu nombreuses à porter des lunettes. “Un conseiller en communication commence par vous dire de vous débarrasser de vos lunettes et de vous blanchir les dents”, explique Eva Joly. Elle nous a donné rendez-vous chez son opticien, rue Bréa dans le VIe arrondissement de Paris. Une petite boutique tout en longueur et quasi sans vitrine. Cliente depuis avril 2003, dit l’ordinateur.
Alors qu’Europe Ecologie-Les Verts n’a pas encore choisi sa monture pour la présidentielle, Eva Joly compte garder la sienne. Elle n’a pas le choix, explique-t-elle à l’opticien, Frank. A côté d’elle, son attachée de presse, Agathe, sort un grand T-shirt noir sur lequel est imprimé une paire de lunettes rouges. Assorti aux badges “J’ai choisi, c’est Eva !” et qui reprend le même logo aux lunettes rouges qui signe son site Internet. Une idée de Julien Bayou, cofondateur de Jeudi noir et de Sauvons les riches. Il doit passer voir l’opticien pour prendre les coordonnées des lunettes dont il veut faire un modèle de deux mètres. Rien n’est trop gros pour les meetings.
Une nouvelle paire pour chaque grand événement
Eva Joly n’est pas myope mais presbyte. Mais elle n’aime pas les verres à double foyer. Un truc à rater des marches. Elle préfère regarder au-dessus de ses lunettes. “Pour convaincre quelqu’un, il faut le regarder dans les yeux.” Elle ne veut pas non plus les porter en permanence, “pour ne pas ressembler à une caricature”. Alors elle les garde dans les cheveux, à portée d’yeux.
“Je veux pouvoir regarder un document, je n’aime pas être privée de mes yeux.”
Privée de ses yeux, c’est ce qui arrive au personnage de son polar Les Yeux de Lira, une journaliste russe à qui l’on jette de l’acide, en page 96. La journaliste russe, elle l’a connue. Dans la réalité, c’est sa fille qui a été attaquée. Frank nettoie les lunettes de l’adepte de la transparence.
En France, les porteurs de lunettes en changent tous les trois ans. Eva Joly le fait à chaque grand événement de sa vie. Ça date les photos, précise-t-elle. Les petites rectangulaires en écaille pour la sortie de son livre Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ? en 2003. Les rondes vertes en 2007 pour La force qui nous manque. Et puis les dernières, les petites rouges (juré, ce ne sont pas les mêmes que celles de Moati) en 2009 pour les régionales. Elle les adore mais le rouge, ça ne va pas avec tout, à part son rouge à lèvres.
Comme si BHL portait un col roulé
Devant le miroir, elle essaie un modèle rectangulaire bleu flashy à paillettes (à l’intérieur de la monture !). “Tu n’as plus le droit !”, blague Agathe, les yeux sur le nouveau logo rouge. Comme si BHL enfilait un col roulé, ça casserait la marque ! La prochaine paire attendra un autre événement : mai 2012 et la présidentielle. L’idée que le prochain tournant puisse se produire début juin avec la fin de la primaire d’Europe Ecologie-Les Verts n’est pas envisagée.
Ségolène Royal avait rangé ses lunettes de bibliothécaire des années 90 pour la dernière élection présidentielle. Avec ses montures quasi invisibles, Marie-George Buffet a réuni 1,9% des suffrages en 2007. D’Isabelle Balkany à Michèle Alliot-Marie, 2011 n’a pas été tendre pour les dernières femmes politiques à lunettes. “Men seldom make passes. At girls who wear glasses”, écrivait Dorothy Parker. Si les hommes font rarement des avances aux femmes qui portent des lunettes, la politique non plus.
Guillemette Faure
Photo Raphaël Dautigny
