La moitié des membres de Facebook affichent leur “situation amoureuse”. Ils devraient pourtant savoir que c’est un nid à emmerdes. A quel moment de la désagrégation d’un couple doit-on changer son statut conjugal sur Facebook ? Doit-on laisser quelqu’un afficher sa relation avec vous sans avoir obtenu votre accord ? Est-ce qu’on tient vraiment à ce que des collègues de bureau sachent qu’on est dans “une relation libre” ? Qui doit le premier poster sur Facebook que le couple n’existe plus ?
Le statut Facebook a remplacé les bagues de mariage et de fiancaille pour signaler sa disponibilité sentimentalosexuelle au reste du monde. “Facebook nous ramène aux années 1950” explique Ilana Gershon, chercheuse en communication et anthropologie à l’université d’Indiana.
“Avant même les fiançailles, vous portiez une bague, une épingle, ou alors les femmes portaient la veste de leur compagnon… Vous aviez tout un éventail de codes pour faire savoir au reste du monde que votre relation était à prendre au sérieux. Avec les années 1960, les rencontres ont changé. L’obligation de communiquer au reste du monde s’est effacée. Votre implication dans une relation pouvait être plus ambiguë.”
« Facebook official »
Désormais, Facebook donne des coups de tampons aux couples. “Maintenant, on entend l’expression “Facebook official”, relève Ilana Gershon. “On entend par exemple ‘We are together but not Facebook official’ » (On en est ensemble mais c’est pas encore officialisé sur Facebook)”.
Ilana Gershon est spécialiste, on ne s’en douterait pas, des “stratégies politiques des Polynésiens”. Rien qui ne devait a priori la conduire à étudier les statuts matrimoniaux sur Facebook. Mais elle commence chacun de ses cours par un exercice supposé aider ses étudiants à mesurer le poids de leur culture. Il y a quelques années, elle a eu l’idée de demander à ses étudiants ce qu’était une “rupture difficile”.
A sa surprise, ses étudiants n’ont pas parlé du fond de la rupture (“elle est partie avec mon meilleur ami”) mais de la forme : “Ils répondaient sur le comment mais pas sur le pourquoi.” Une rupture difficile par exemple, c’est “quelqu’un qui signale sur Facebook que vous avez rompu sans vous l’avoir dit avant”, “quelqu’un qui indique une nouvelle petite amie sur Facebook sans avoir prévenu l’ancienne”.
Elle en a fait un livre - The Breakup 2.0 – décortiquant 72 entretiens de largués (“les gens que j’ai interrogés avaient pour la plupart entre 18 et 22 ans, une tranche propice aux ruptures”). Parmi ses conclusions, on retient aussi que Facebook écrase la complexité des fins de relation qui trainouillent.
“Les ruptures sont plus efficaces parce qu’une fois annoncées sur Facebook, c’est plus difficile de se remettre ensemble.”
Facebook n’aime pas les zones grises. Seuls 3 millions de membres définissent leur vie sentimentale en cochant “c’est compliqué”. Après avoir survécu à la rupture, guette le traumatisme du petit coeur ébréché qui annonce qu’un membre est célibataire. Ce que ses interviewés contournent par tous les moyens. “Ils préfèrent ne plus donner leur statut personnel, ou plaisanter qu’ils sont mariés à leur meilleur copain.”
Pourquoi sont-ils alors aussi nombreux à remplir la case de leur situation amoureuse (53% des femmes et 47% des hommes le font) ?
“Parce que c’est devenu un test pour vérifier le sérieux de l’engagement de votre partenaire. Il y a une énorme pression, l’idée que la personne ne vous aime pas suffisamment si elle ne veut pas officialiser votre relation sur Facebook.”
Les statistiques fournies par Facebook sur le changement de statut (en 2010, selon le New York Times, 37 millions de membres ont changé leur situation amoureuse pour inscrire “marié” et 44 millions pour “célibataire”) ne reflètent donc pas nécessairement l’évolution de la vie de ses inscrits.
A l’origine, quand le réseau social était avant tout fréquenté par des étudiants, “célibataire” était le statut le plus courant. Aujourd’hui, 35% de ceux qui répondent à la question se disent mariés, 22% dans une relation et 32% célibataires. Signe de l’évolution démographique de ses membres, Facebook a étendu ses options pour y inclure “veufs”. Certaines catégories restent conservatrices, s’amuse Ilana Gershon. Par exemple, “vous pouvez indiquer que vous vivez une relation libre, mais vous ne pouvez être dans une relation libre qu’avec une seule personne à la fois !”
Illustration : Joe Taylor/Reface.me